« LA FURIE DU DÉSIR » (encore un titre français tout ce qu'il y a de sobre !) a une bien meilleure réputation en Europe qu’aux U.S.A. où il est considéré comme un mélo à la limite du ridicule. La vérité se situe probablement entre les deux tendances. L’ombre de Faulkner et Tennessee Williams flotte au-dessus de ce film qui se veut érotique et social à la fois. Mais King Vidor a fait de drôles de choix de casting, qui gâchent trop souvent de bonnes intentions.
Ainsi, Jennifer Jones a-t-elle un rôle magnifique de sauvageonne sexy et indomptable, qui se transforme en nouvelle-riche revancharde. Mais son jeu outrancier, fait de grimaces et de poses caricaturales ne rend guère justice à Ruby Gentry. Face à elle, Charlton Heston n’est pas beaucoup mieux casté. Censé être un individu ambitieux et sensuel, véritable objet de désir, contrôlé par ses passions, il campe son personnage avec sa raideur et sa théâtralité habituelles, là où un jeune Paul Newman aurait été beaucoup plus à sa place. Les deux comédiens ne génèrent aucune alchimie à l’écran et leurs scènes passionnelles sombrent souvent dans le grotesque et l’excessif. Seul Karl Malden fait une belle prestation dans le rôle du mari riche, mais rejeté par l’aristocratie locale à cause de ses origines prolétaires. Pas un contremploi pour l’acteur qui a beaucoup joué les cocus et les laissés-pour-compte, mais il excellait vraiment dans ce genre de personnage ingrat et pathétique.
Le vrai sujet de « LA FURIE DU DÉSIR », c'est bien cette échelle sociale, ce mur invisible que Ruby ne pourra jamais franchir quoi qu’elle fasse. Et son argent et son pouvoir n’y pourront rien changer. Elle est et restera née « on the wrong side of the tracks » comme le répète plusieurs fois la solennelle voix ‘off’ qui accompagne le film.
Malgré ses nombreux défauts, « LA FURIE DU DÉSIR » vaut d’être vu pour ses décors de marécages en studio, une photo subtile et envoûtante et pour sa fin, une belle poursuite fantasmagorique dans une sorte d'Eden corrompu, qui fait subitement décoller le film vers autre chose.